Le Covid Safe Ticket est-il discriminatoire ?

Cela fait déjà un certain temps que l’on accuse le Covid Safe Ticket (CST) d’être discriminatoire, et ce ne sont pas les propos hallucinants d’Emmanuel Macron, en France, qui vont calmer le jeu. Déclarer que l’on a très envie d’« emmerder » les non-vaccinés alimente le procès fait aux autorités, puisque vouloir nuire à une catégorie sociale est bien de la discrimination.

Mais ce n’est pas cela qui se joue en Belgique. Le CST n’est pas un pass vaccinal, et si le monde politique pousse les non-vaccinés à changer d’attitude, il n’a jamais dit vouloir leur nuire. Cependant, cela ne règle pas la question de fond : le CST est-il discriminatoire ? La cour d’appel de Liège a répondu par la négative sur le plan juridique, mais on peut aussi aborder la question de manière sociologique.

Classiquement, une discrimination est due à un groupe dominant qui profite de son pouvoir pour s’attaquer à une minorité, pour disqualifier structurellement une catégorie sociale : que l’on pense aux discriminations à l’encontre des femmes, des personnes de couleur, de certaines religions ou convictions… La discrimination joue de groupe à groupe, et tend à se perpétuer tant qu’elle n’est pas combattue.

En l’occurrence, les non-vaccinés ne forment pas une minorité dont l’identité deviendrait un piège. Personne n’est assigné à un statut de non-vacciné : c’est simplement la situation dans laquelle tout le monde se trouvait au début de la pandémie et dans laquelle certains préfèrent rester. Les non-vaccinés ne forment pas un groupe, sociologiquement parlant : c’est un ensemble aux contours mouvants, dans lequel on entre ou dont on sort à son gré, en interrompant ou en entamant un processus vaccinal. Certes, tant que le CST est en vigueur, les non-vaccinés se voient refuser certaines libertés, mais cela découle d’une différence de choix face à la vaccination, pas de l’appartenance à un groupe prédéfini auquel on voudrait s’attaquer.

Il est vrai, cependant, que certaines mesures paraissent frapper les non-vaccinés de manière spécifique, et qu’aux yeux de ses opposants le CST ne leur laisse pas d’autre choix que de se faire vacciner afin de reconquérir leurs droits.

Mais c’est oublier, d’abord, que l’obtention du CST ne repose pas sur la seule vaccination. On en bénéficie aussi si l’on a contracté le Covid, que l’on ait ou non été vacciné au préalable. Et on peut également présenter un test PCR négatif pour jouir des mêmes libertés que les personnes vaccinées.

Ces trois situations ont en commun de diminuer les risques de contamination et d’affection majeure, de sorte que présenter le CST comme une mesure ciblant les non-vaccinés inverse la logique à l’œuvre. Le CST ne sert pas à nuire à une catégorie déterminée, mais à accorder des libertés sous condition aux citoyens qui ne présentent pas de danger particulier pour autrui. Car il faut rappeler l’enjeu : certaines de nos libertés sont devenus conditionnelles parce que la transmission du virus menace toutes les personnes à risque au plan du Covid, ainsi que le personnel soignant, qui est à bout de force, et les personnes porteuses d’autres pathologies, y compris létales, dont les soins sont périodiquement déprogrammés pour faire de la place aux malades du Covid.

Même si l’on est un opposant au CST, il faut garder à l’esprit que la vaccination n’est pas synonyme de liberté absolue. Le CST n’empêche pas qu’une personne vaccinée doit porter le masque au cinéma, dans les transports en commun ou à l’école, y compris s’il s’agit d’un enfant de 6 ans. Et le télétravail est à nouveau obligatoire dans tous les secteurs où il est praticable. La politique sanitaire ne plonge pas les vaccinés dans un océan de liberté et les non-vaccinés dans une prison où plus rien n’est permis : les premiers subissent des contraintes et les seconds conservent de nombreux droits. Les non-vaccinés qui pensent être une cible analysent la politique sanitaire à partir de leur propre situation, en oubliant que cette politique affecte tout le monde à des degrés divers.

En outre, il faut prendre la juste mesure de l’impact du CST. Comme l’a fait remarquer la cour d’appel de Liège, il n’est exigé que pour un nombre restreint d’activités (il est bien moins liberticide que le confinement), et c’est une mesure limitée dans le temps, instaurée dans une phase précise de la crise sanitaire et appelée à disparaître quand elle sera devenue inutile. A moins de verser dans une sorte de paranoïa, on n’imagine pas nos gouvernants maintenir à tout prix un Covid Safe Ticket qu’ils savent impopulaire, difficile à appliquer et coûteux pour certains secteurs économiques et, par ricochet, pour le budget de l’Etat.

Lorsqu’une véritable discrimination est à l’œuvre, ceux qui s’en rendent coupables la pérennisent car ils en profitent. Mais ici, seules quelques firmes pharmaceutiques tirent un bénéfice du CST. Cela suffit, aux yeux de certains, pour suspecter qu’elles sont à l’origine de toute cette opération, mais si l’on raisonne ainsi il faudra expliquer, le jour venu, pourquoi le CST aura été supprimé. En fait, comme le soulignent divers scientifiques, le pass sanitaire, de même que le pass vaccinal à la française, ne sert pas à discriminer mais à éviter la discrimination qui consisterait à imposer le vaccin aux personnes à risque, celles qui sont âgées de plus de 50 ans ou qui présentent des comorbidités.

En situation de pandémie, concevoir une politique sanitaire qui ne choque personne est un vœu pieux. Que l’on passe par des obligations, par des interdits ou par des conditions à respecter, il y a forcément un prix à payer, qui sera plus élevé pour certains que pour d’autres puisque nous ne sommes pas tous placés dans une situation identique. Des dispositifs bien pensés prendront ces différences objectives en compte, mais précisément parce qu’ils établiront des distinctions, ils seront critiqués par ceux qui s’en jugent victimes. Et si l’on optait pour la logique inverse, pour des décisions applicables de la même manière à tous, la critique s’inverserait aussi : on répliquerait que l’égalité ne consiste pas seulement à traiter de manière semblable des personnes placées dans une situation semblable, mais aussi à traiter de manière différente des personnes placées dans des situations différentes.

Le débat sur la politique sanitaire ne sera donc jamais clos, mais on peut raisonnablement considérer que le Covid Safe Ticket n’est pas un outil discriminatoire.

Par Vincent de Coorebyter, Le Soir, 12 janvier 2022.

(*) Les propos exprimés dans le présent article n’engagent que son auteur

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