De Barcelone à Vichy

par Marc Uyttendaele

Carlos PUIGDEMONT ne demandera pas l’asile politique à la Belgique. Une telle demande pourtant, si elle avait été formulée, aurait mérité toute l’attention des autorités belges. Il est navrant que l’Europe soit à ce point silencieuse lorsque des leaders indépendantistes catalans sont emprisonnés pour délit d’opinion, quand le chef de l’exécutif catalan et les membres de son gouvernement risquent trente ans de prison pour rébellion, quand des institutions démocratiquement élues sont destituées. On peut n’éprouver qu’antipathie pour ces régions riches – la Catalogne, la Padanie, la Flandre – qui rêvent d’indépendance pour ne pas être contraintes à la solidarité avec les régions les plus démunies de leur pays et ne pas tolérer pour autant qu’un Etat, membre de l’Union européenne, se comporte comme la plus vulgaire des dictatures dans la répression de l’opposition. Quel crédit l’Union européenne aura-t-elle encore lorsqu’elle refusera l’adhésion de la Turquie au motif des dérives autoritaires de son sinistre chef de l’Etat ? En Espagne comme en Turquie, on fait un usage dévoyé du droit pour museler l’opposition. La revendication indépendantiste existe en Catalogne. Qu’elle soit le fait d’une minorité ou d’une majorité de la population, elle mérite le respect dû à toute revendication exprimée dans le champ démocratique. Si le droit constitutionnel espagnol ne comprend pas, en l’état, des règles qui permettent un débat démocratique serein sur cette question, il convient tout simplement de l’adapter. Le gouvernement espagnol a choisi une toute autre voie, celle de l’intégrisme et de l’aveuglement juridique. Le droit est utilisé comme une arme de pouvoir, et non comme un instrument de pacification nationale et de respect des minorités. Voilà pourquoi tout démocrate européen devrait devenir, l’espace d’un instant, le temps que le débat puisse se tenir et trouver une issue démocratique, un indépendantiste catalan. C’est cette voie-là qu’a empruntée Théo FRANCKEN lorsqu’il a envisagé que la Belgique puisse accorder l’asile politique au leader catalan. Ses arrière-pensées sont transparentes. Il s’agit de flatter, de brosser dans le sens du poil les nationalistes flamands, frustrés par l’abandon de fait des revendications communautaires de la part de la N-VA, ce parti dans lequel ils avaient fondés tous leurs espoirs. Mais qu’importe, un propos courageux peut être loué, même s’il se fonde sur des intentions équivoques. Le seul problème est qu’en ce qui concerne Théo FRANCKEN, l’alchimie ne fonctionne pas. Le temps d’une déclaration, l’homme ne s’est pas transformé en humaniste. C’est bien lui qui refusait l’accès au territoire à une famille syrienne prise sous les feux des djihadistes à Alep. C’est lui qui fait appel aux autorités soudanaises pour identifier les migrants et les renvoyer chez eux alors même que le président soudanais est poursuivi devant la Cour pénale internationale pour génocide et crime contre l’humanité. C’est lui aussi qui s’émouvait de se voir caricaturer en soldat nazi. L’image était excessive, certes. Une comparaison avec la police de Vichy aurait sans doute été plus pertinente, cette police qui se mettait au service de l’occupant au point de faire son travail en ses lieux et place. Alors lorsqu’il propose d’accorder l’asile politique à Carles PUIGDEMONT, il ne redore en rien son blason. Il offre toujours le visage grimaçant d’un européen cynique, confit dans son bien-être qui ne parle qu’aux siens, qui ne protège que ceux qui lui ressemble et qui se racrapote dans une citadelle nationaliste. Mais le pire est sans doute qu’il n’est pas tout seul, qu’il est contagieux. Comment accepter, en effet, que le Premier ministre de notre pays, que le ministre des Affaires étrangères, que le gouvernement dans son ensemble aient couvert, sans vergogne, la politique soudanaise initiée par Théo FRANCKEN. Par contre, ils rappellent celui-ci à l’ordre lorsqu’il tend la main au chef de l’Exécutif catalan. Des réfugiés soudanais désespérés sont pour eux des quantités négligeables. Par contre, il ne peut être question de troubler l’ordre ouaté des chancelleries européennes. Eux aussi ne s’intéressent qu’à ceux qui leur ressemblent et c’est là que se dégage un bien triste constat : Théo FRANCKEN n’est que la pointe avancée, que la métaphore cohérente du gouvernement auquel il appartient.

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