Carnet de crise #23 du 4 mai 2020 : Les conférences de presse du Conseil national de sécurité : un décorum lourd de sens

La période de confinement que traversent actuellement la Belgique et la plupart des pays est inédite à bien des égards.

En particulier, sur le plan juridique et politique, cette situation engendre un nombre important de procédures exceptionnelles et l’adoption de mesures largement dérogatoires au droit commun. Qu’il s’agisse des pouvoirs spéciaux qui bouleversent l’équilibre traditionnel entre nos pouvoirs constitués ou des mesures adoptées pour limiter l’impact de la crise sur le budget de la sécurité sociale, les dispositifs extraordinaires se multiplient.

Afin de mieux comprendre ce qui se joue sous nos yeux, le Centre de droit public de l’ULB vous propose son Carnet de crise : régulièrement, ses membres mettront en ligne analyses et commentaires de ces dispositifs sous une forme accessible.

Bien entendu, les propos diffusés dans ce cadre n’engagent que leur auteur et autrice et non l’ensemble du CDP.

Télécharger le Cahier de crise #23 : Les conférences de presse du Conseil national de sécurité, un décorum lourd de sens

Les conférences de presse du Conseil national de sécurité (CNS) jalonnent notre vie confinée. Nous sommes nombreux·ses à les attendre, anxieux·ses, comme un·e proche attend à l’extérieur de la salle d’opération, priant pour une bonne nouvelle. Puis, quand les ministres s’installent enfin, nous retenons notre souffle, dans l’attente du verdict. Confinement, déconfinement ? A quelle sauce allons-nous être mangé·e·s, cette fois ?

C’est que le CNS a de nombreux messages à faire passer. Ses conférences de presse sont un bon révélateur, indépendamment même de leur contenu, de l’état de santé du pays et de son monde politique. Avant même que la Première Ministre n’ouvre la bouche, le décorum qui entoure ces conférences nous renseigne, tacitement, sur bien des choses.

Ce carnet de crise vise à analyser, de manière sans doute un peu superficielle, ce décorum et les informations que l’on peut en tirer quant à la manière dont l’épidémie est gérée par le monde politique. Nous verrons, d’abord, que l’identification des personnes présentes à la conférence de presse permet de remettre en doute l’idée selon laquelle c’est bien le CNS, au sens juridique du terme, qui est à la manœuvre, puisque ce sont les Ministres-Présidents qui encadrent la Première, et non les membres de jure du CNS. Ces Ministres-Présidents ont d’ailleurs, pour la première fois, pris la parole ce vendredi 24 avril 2020, ce qui nous semble lourd de sens. Mais, et c’est ce que nous montrerons ensuite, cette intervention des Ministres-présidents remet en lumière un problème qui semble transversal dans la gestion de la crise sanitaire : celui de la répartition des compétences au sein de notre fédéralisme.

Le Conseil national de sécurité : bas les masques !

Nous l’avons détaillé dans le carnet de crise n° 13 : en principe, le Conseil national de sécurité est composé de la Première Ministre, des ministres de la Défense, de l’Intérieur, de la Justice et des Affaires étrangères. En outre, siègent avec voix délibératives tous les vice-premiers ministres qui ne disposeraient pas de l’un de ces portefeuilles. C’est la règle fixée par l’article 2 de l’arrêté royal du 28 janvier 2015 portant création du Conseil national de sécurité [1] .

Partant, le CNS est actuellement composé de Sophie Wilmès, Philippe Goffin, David Clarinval, Koen Geens, Pieter De Crem et Alexander De Croo (voir infographie).

En fonction de l’ordre du jour, d’autres membres du gouvernement fédéral peuvent s’adjoindre à ces réunions, s’ils sont particulièrement concernés. Ainsi, par exemple, la ministre de la Santé peut-elle siéger lorsque le CNS se penche sur des questions liées à la crise sanitaire (mais, nous le verrons infra, on peut douter de sa compétence pour ce faire). De même, des « experts » de diverses matières peuvent également être invités (par exemple, l’administrateur général de la Sûreté de l’État ou le directeur de l’OCAM).
Ce qui frappe, au vu des récentes conférences de presses du CNS, c’est l’absence, sur le plan juridique, des entités fédérées. En effet, le CNS est, par nature, un organe fédéral, ayant à gérer des problématiques relevant en principe des compétences de l’Autorité fédérale. Certes, comme nous l’avons indiqué dans le carnet de crise n° 13, « on a tenu à laisser la porte ouverte à des personnes extérieures qui pourraient potentiellement se rendre utiles dans la gestion d’une menace ; cela explique pourquoi les ministres-présidents des entités fédérées apparaissent aux côtés de la Première Ministre lors des conférences de presse ». Il n’en demeure pas moins qu’en principe, puisqu’ils ne sont pas membre de droit du CNS, les Ministres-présidents n’y disposent pas d’une voix délibérative, comme l’a relevé Marc Uyttendaele [2] .

Dès lors, de deux choses l’une. Soit l’organe qui pilote la crise est bel et bien le CNS, et les entités fédérées sont invitées à la table, sans pouvoir décisionnel – mais alors, pourquoi inviter les Ministres-présidents aux conférences de presse, et non les autres membres du CNS qui, eux, ont une voix délibérative ? Soit ce n’est pas réellement le CNS qui pilote cette crise, mais un organe ad hoc, en marge de tout cadre juridique clair, avec une mission et des compétences qui ne sont définies nulle part. Cela pourrait expliquer la part importante que semblent jouer les Ministres-présidents dans la décision qui est finalement adoptée lors de ces simili-CNS.
Après tout, le CNS n’avait pas pour vocation de jouer les gendarmes sanitaires : il s’agit avant tout d’un organe créé pour coordonner la politique de sécurité publique, surtout au regard de la menace terroriste. En témoignent d’ailleurs les missions confiées aux CNS par l’article 3 de son arrêté royal organique :

« Le Conseil établit la politique générale du renseignement et de la sécurité, en assure la coordination, et détermine les priorités des services de renseignement et de la sécurité.
Le Conseil est également compétent pour la coordination de la lutte contre le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive.
Le Conseil définit en outre la politique en matière de protection des informations sensibles ».

Il nous paraît difficile de faire rentrer la gestion d’une crise sanitaire dans ces attributions, sans une interprétation particulièrement large des termes « politique du renseignement et de la sécurité ». Par ailleurs, le plan d’urgence élaboré en 2003 [3] prévoyait la mise en action, en cas de déclenchement de la phase fédérale de gestion de crise (voy. infra) d’une « cellule de gestion (…) formée des ministres fédéraux concernés par la gestion de l’événement, ou de leurs représentants, et (…) présidée par le Ministre de l’Intérieur » [4] . Et le plan de préciser que

« [l]a cellule de gestion sera dans la plupart des cas composée des ministres responsables de la Santé publique (en ce compris les compétences concernant l’agriculture), de la Mobilité (Transports et Communications), des Affaires économiques et de la Défense.

Si besoin en est, elle sera complétée par : les ministres des Affaires étrangères et de la Justice ; les ministres régionaux (et communautaires) concernés ; tout autre ministre concerné ».

Cette cellule, habilitée à prendre « toute mesure utile requise par la gravité de la situation », permet dès lors la concertation entre les composantes de la Belgique fédérale, puisque sa composition autorise d’y voir siéger des ministres régionaux ou communautaires.

Tout porte donc à croire que l’organe dont nous attendons fébrilement les conférences de presse ne fait qu’usurper l’identité du Conseil national de sécurité. Derrière ce masque se dissimule une cellule de gestion de crise ad hoc rassemblant l’Autorité fédérale et les entités fédérées, mais qui n’est pas tout à fait celle de 2003 (les « ministres régionaux et communautaires » sont ici remplacés par les Ministres-présidents). Cet imposteur, qui s’est développé en marge du droit – pour ne pas dire aux frontières de la légalité – semble pourtant toléré par tout un chacun, sans doute en raison du caractère exceptionnel de la période que nous traversons.

Il apparaît donc dommage de ne pas avoir investi de la mission de coordination de la crise des structures préexistantes (la cellule de gestion susmentionnée ou, à tout le moins, le Comité de concertation, voire la conférence interministérielle de la santé) et dont les missions – légales, elles – comprennent potentiellement la coordination et la concertation des composantes de la Belgique fédérale.

Imposteur, le simili-CNS l’est donc à deux égards : au CNS, il emprunte son appellation et son aura ; à la cellule de gestion ou au Comité de concertation, il emprunte son caractère d’organe (potentiel) de discussion entre entités fédérées et Autorité fédérale. Et pour en arriver à cette conclusion, il nous aura suffi d’observer les personnalités assises face aux journalistes lors des conférences de presse.

Des Ministres-présidents, (et) une Première.
Invités faisant partie des meubles, les Ministres-présidents l’étaient pourtant jusqu’à la dernière conférence du CNS, le 24 avril 2020. Jusque-là, en effet, seule la Première prenait la parole ; les cinq hommes qui l’entouraient ne répondaient même pas aux questions de la salle. Tout juste pouvaient-ils se presser devant les caméras, à la fin de l’allocution, pour expliciter tel ou tel point ou préciser l’objet exact d’une mesure ou l’autre. Avant le 24 avril, donc, la capitaine Wilmès menait son navire seule – symboliquement, en tout cas – ce qui pouvait laisser deviner la prépondérance du niveau fédéral dans la gestion de la crise.

Quoi de plus normal, d’ailleurs, de constater ce règne sans partage de l’Autorité fédérale, dans la mesure où la phase fédérale de gestion de crise a été déclenchée le 13 mars dernier [5] . Brièvement, la phase fédérale de gestion intervient dans une série d’hypothèses déterminées par deux arrêtés royaux [6] . Le déclenchement de cette phase, décidé par le ministre de l’Intérieur, a pour effet de suspendre les phases antérieures (les phases communales et provinciales) et de confier audit ministre la coordination stratégique des situations d’urgence. Cette phase fédérale de gestion de crise vise donc à centraliser la prise de décision stratégique dans des conditions d’urgence afin de rationaliser l’effort de crise. Nulle intervention des entités fédérées n’est donc requise – cela apparaîtrait en soi comme contraire à l’objectif poursuivi. Et pourtant, les entités fédérées ont été consultées avant le déclenchement de la phase fédérale, puisque cette dernière a été enclenchée « considérant les concertations entre les gouvernements des entités fédérées et les autorités fédérales compétentes » [7] . L’annonce du passage en phase fédérale a été faite par un simili-CNS, en présence de Ministres-présidents qui n’avaient rien à faire là et en l’absence du Ministre de l’Intérieur dont elle dépend juridiquement. Au mieux, on trouvera cela cocasse ; au pire, incohérent et absurde.

Nonobstant cette considération, c’était bien la Première Ministre – et donc, à travers elle, l’Autorité fédérale – qui menait la barque, soutenue semblait-il par une sorte d’union sacrée des partis et des entités fédérées. Force est de constater que, le 24 avril 2020, l’union s’est fissurée.

En effet, pour la première fois, les Ministres-présidents eurent leur mot à dire lors de la conférence de presse du pseudo-CNS. Alors que jusqu’à présent, seule la Première s’exprimait sur les décisions prises, même quand elles concernaient une compétence régionale ou communautaire. Le 24 avril, Jan Jambon, Pierre-Yves Jeholet et Olivier Paasch prenaient tour à tour la parole pour détailler les mesures qui accompagneront le (potentiel ?) retour dans les classes des élèves dépendant de la Communauté dont ils sont ministres-présidents.

L’affirmation de la parole communautaire est puissante. Les premiers mots de Jan Jambon sont consacrés à contredire la Première Ministre : « c’est le 18 mai que l’enseignement devrait reprendre, mais on aura la possibilité de commencer le 15 mai de manière à avoir une sorte de phase pilote », réaffirmant par là la position de la Communauté flamande qui, on le sait, n’était pas partagée par les francophones . Ce retour à l’avant-plan des entités fédérées est marqué jusque dans la présentation powerpoint qui accompagne la conférence de presse, et dont la mise en page diffère lorsque les communautés s’expriment :

Symboliquement, le message est clair : le temps de la gestion par la seule Autorité fédérale est révolu : désormais, les communautés et régions entendent retrouver leur place sur l’échiquier politique. Seule la Région de Bruxelles-Capitale, représentée par Rudi Vervoort, échappe à ce constat : de tous les membres présents, le Ministre-président bruxellois est le seul à ne pas prendre la parole – ni sur la réouverture des écoles, ni sur le tracing. Si l’intéressé expliquera ce fait par un temps de parole à se partager, le mal symbolique est fait. Même en acceptant cette explication, comment justifier que le Ministre-président flamand soit seul à intervenir sur le tracing en néerlandais, alors que les Ministres-présidents wallon et bruxellois doivent se partager le français ? Faut-il rappeler que la Région de Bruxelles-Capitale est une région bilingue ?

Par ailleurs, la prise de parole d’Olivier Paasch, Ministre-président de la Communauté germanophone interpelle également. Il est rare que les germanophones ne fassent pas figure d’oubliés du fédéralisme belge. A cet égard, on peut se féliciter d’avoir offert à la plus petite Communauté du pays une tribune égale à celle des deux grandes. Dommage, cependant, que les dispositifs de diffusion de la conférence de presse n’aient pas prévu, pour l’occasion, de traduction simultanée. Comme quoi, il n’est pas facile de se défaire du statut de petit poucet du fédéralisme.

Toujours est-il que, par ces interventions lors de la conférence de presse du 24 avril 2020, les Ministres-présidents font passer, symboliquement, un message clair : le temps de l’urgence semble à leurs yeux passé, et il est temps pour chaque entité fédérée de se réapproprier sa part du gâteau. A moins que les acteurs qui souhaitent tirer la couverture à eux soient les partis, et non les entités fédérées.

Après tout, si nous observons l’appartenance partisane des personnalités apparaissant lors des conférences de presse, on constate que le MR y est le plus représenté (part Sophie Wilmès et Pierre-Yves Jeholet), ex-aequo avec le PS (Elio Di Rupo et Rudi Vervoort). Suivent alors la NV-A (Jan Jambon) et ProDG (Olivier Paasch). Ce retour au premier plan des communautés et régions peut apparaître comme la réaffirmation de deux partis d’opposition au fédéral : la NV-A et le PS. Peut-être en vue d’une échéance électorale en sortie de crise ? Peut-être pour rappeler que le MR et ses partenaires au fédéral (Open Vld et CD&V) ne gèrent pas cette crise seul ?

Une conférence, mais quelles compétences ?

L’intervention d’Olivier Paasch – au même titre que celles de Jan Jambon, Pierre-Yves Jeholet et Elio Di Rupo – pose cependant question sur un autre plan. En effet, si les Ministres-présidents sont intervenus, c’est pour présenter un point qui ressort des compétences de leur Région ou Communauté. C’est en tout cas la manière dont la Première Ministre a présenté les choses : « pour parler enseignement – vous savez que cela n’est vraiment pas une compétence fédérale –, je vais donner la parole aux Ministres-présidents » ou encore « je vous l’ai dit, le testing et le tracing vont de pair, et pourtant il s’agit de compétences qui ne sont pas partagées, mais dont nous faisons en sorte de mettre en commun nos expertises les plus grandes. Sur la question du tracing, je vous propose de passer la parole à Elio [Di Rupo, Ministre-président de la Région wallonne] ».

Comment attirer plus clairement l’attention sur le découpage arbitraire et incompréhensible des compétences qui est opéré par là ? Les quelques constitutionnalistes qui ne s’étaient pas déjà endormi devant leur télévision ont eu bien du mal, ce 24 avril, à s’expliquer pourquoi le tracing a rejoint, en l’espace d’une journée, les compétences régionales – sauf en ce qui concerne la protection de la vie privée, qui reste apparemment compétence fédérale. La loi spéciale du 8 août 1980, sur qui ils peuvent bien souvent se reposer pour ces questions techniques, semble impuissante à expliquer cette attribution de compétence. Et le trouble de ces publicistes s’en est trouvé décuplé lorsque, relayant Elio Di Rupo et Jan Jambon, Olivier Paasch prit à son tour la parole. S’agissait-il d’une simple volonté de traduire le contenu de la présentation en allemand (mais alors, pourquoi uniquement cette partie-là ?) ou était-ce à dire qu’en plus des Régions, la Communauté germanophone se trouve elle aussi compétente en matière de tracing ? Dans l’affirmative, sur quelle base juridique ?

Dire que la répartition des compétences en Belgique a subi de multiples affronts lors de cette crise et a pâti de sa complexité ressemble aujourd’hui à un truisme. Ce constat était déjà dressé il y a quelques jours dans ces colonnes. La conférence de presse du pseudo-CNS l’a, à nouveau, démontré.

Les conférences de presse du CNS : un révélateur symbolique inquiétant
En définitive, il nous apparaît donc que les conférences de presse auxquelles nous assistons depuis plusieurs semaines sont loin de dissiper les brouillards qui sont descendus sur notre pays suite à la crise. L’analyse de la forme de ces conférences – nous n’en avons en effet pas analysé le contenu même – suffit à poser une série de questions aux réponses incertaines. Est-ce bien le Conseil national de sécurité qui est à la manœuvre dans la gestion de cette crise ? Il est permis d’en douter. L’organe auquel nous avons affaire ne correspond ni dans sa mission, ni dans sa composition, à celui créé par arrêté royal le 28 janvier 2015. Pourquoi donc l’affubler du costume CNS, alors ? Tout cela est bien mystérieux. Pourquoi ne pas avoir mobilisé la cellule de gestion prévue par le plan d’urgence de 2003, et qui permet la concertation à laquelle semblent tenir nos responsables politiques, ou la conférence interministérielle de la santé ? Nouveau mystère.

Le « masque » du CNS permet, sans doute, d’afficher une certaine légitimité aux yeux de la population, voire de donner une impression de maîtrise de la situation. Par ailleurs, on peut penser qu’agiter l’avatar du Conseil national de « sécurité » permet de justifier les décisions, très dures et attentatoires aux droits et libertés, au nom de la sacro-sainte sécurité.

Pourtant, lorsque l’on gratte un peu ce vernis superficiel, on s’aperçoit que la mascarade crée plus d’incertitude que nécessaire. Les acteurs impliqués ne jouent pas carte sur table en dévoilant leur vrai visage – et nous sommes prêts à parier qu’ils seraient bien incapables, dans la multiplication des structures qui gèrent cette crise, de dire qui fait réellement quoi. L’utilisation du prête-nom CNS entraîne par ailleurs l’assimilation de la sécurité sanitaire à la sécurité tout court, lorsqu’elle concerne des menaces de nature terroriste. Car c’est bien dans cette optique de lutte contre le terrorisme que le CNS fut créé, comme en témoignent les compétences qui lui sont dévolues ou le profil des experts qui peuvent y être invités. Or, on ne gère pas une crise sanitaire comme on gère la menace terroriste. Interpréter de manière extraordinairement large les compétences du CNS et jouer sur sa composition dans ces conditions : était-ce réellement la meilleure façon de rassurer la population ? Cela nous semble loin d’être certain.

Ce qui est certain, en revanche, c’est que le retour en force des entités fédérées illustré par la conférence du 24 avril a de quoi inquiéter. Était-ce utile d’affirmer, peut-être gratuitement, que la compétence de tracing est régionale, tout en admettant qu’elle est indissociablement liée à celle du testing – qui, elle, est fédérale ?

Plus que jamais, la Belgique ressemble à Clochemerle. En est-on réellement arrivés à un stade de l’épidémie où nous pouvons nous permettre une dilution du leadership, un éclatement de la coordination et, surtout, un découpage des compétences au scalpel ? Quitte à s’assoir sur les règles de répartition des compétences, ce qui est semble-t-il rendu possible par le fait qu’on se passe des avis de la Section de législation du Conseil d’État et que la Cour constitutionnelle ne peut sanctionner les excès de compétences qu’a posteriori, pourquoi ne pas en profiter pour confier à une seul et même entité la lourde responsabilité d’organiser le testing et le tracing, conditions sanitaires d’un déconfinement réussi ?

A moins, bien sûr, que cet émiettement des compétences vise à responsabiliser toutes les entités fédérées, et donc à n’en responsabiliser aucune. Habile manœuvre de diversion, le saucissonnage des compétences permettra à chacun de s’esquiver d’un non possumus lorsque viendra l’heure de faire les comptes. D’ores et déjà consolider son alibi, c’est se préparer à l’échec. Si nos responsables politiques sont en train de jeter le bébé sanitaire avec l’eau du bain fédéral, nous avons de quoi être inquiets.

Aujourd’hui, plus que jamais, la Belgique semble malade. Pas seulement du Covid-19 : elle semble souffrir de son fédéralisme. Nul besoin d’être médecin pour s’en rendre compte : assister à une conférence de presse suffit.

Thibault Gaudin, assistant et doctorant au Centre de droit public

[1] M.B., 30 janvier 2015. Version en ligne disponible sur Ejustice ici.
[2] Voy. le carnet de crise n°22.
[3]  Arrêté royal du 31 janvier 2003 portant fixation du plan d’urgence pour les événements et situations de crise nécessitant une coordination ou une gestion à l’échelon national, M.B., 21 février 2003
[4] Plan d’urgence annexé à l’A.R. précité, point 4.4.
[5]  Voy. l’arrêté ministériel du 13 mars 2020 portant le déclenchement de la phase fédérale concernant la coordination et la gestion de la crise coronavirus COVID-19, M.B., 13 mars 2020. Disponible enen ligne sur Ejustice.
[6] L’arrêté royal du 31 janvier 2003 précité, d’une part et l’arrêté royal du 22 mai 2019 relatif à la planification d’urgence et la gestion de situations d’urgence à l’échelon communal et provincial et au rôle des bourgmestres et des gouverneurs de province en cas d’événements et de situations de crise nécessitant une coordination ou une gestion à l’échelon national, M.B., 27 juin 2019, d’autre part.
[7] Préambule de l’arrêté ministériel du 13 mars 2020 précité.
[8] Voy. not. Coronavirus en Belgique : les écoles flamandes pourraient rouvrir partiellement dès le 15 mai, RTBF, en ligne sur le site internet de la RTBF.

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