La période de confinement que traversent actuellement la Belgique et la plupart des pays est inédite à bien des égards.
En particulier, sur le plan juridique et politique, cette situation engendre un nombre important de procédures exceptionnelles et l’adoption de mesures largement dérogatoires au droit commun. Qu’il s’agisse des pouvoirs spéciaux qui bouleversent l’équilibre traditionnel entre nos pouvoirs constitués ou des mesures adoptées pour limiter l’impact de la crise sur le budget de la sécurité sociale, les dispositifs extraordinaires se multiplient.
Afin de mieux comprendre ce qui se joue sous nos yeux, le Centre de droit public de l’ULB vous propose son Carnet de crise : régulièrement, ses membres mettront en ligne analyses et commentaires de ces dispositifs sous une forme accessible.
Bien entendu, les propos diffusés dans ce cadre n’engagent que leur auteur et autrice et non l’ensemble du CDP.
Dans ce treizième numéro du Carnet de crise, ce mercredi 15 avril 2020, alors que le Conseil national de sécurité se réunit à nouveau, Thibault Gaudin nous propose une capsule vidéo qui explique l’origine, la composition et la compétence de cet organe relativement méconnu.
En cette période de confinement, difficile de s’informer sans être enseveli sous les nouvelles relatives à la pandémie que nous traversons.
Notre vie semble d’ailleurs rythmée par les réunions du Conseil national de sécurité, aux conférences de presse duquel nous restons attentifs pour glaner la moindre information qui laisserait entendre une sortie de crise plus ou moins proche.
Si tout le monde a aujourd’hui entendu parler de cet organe, sa composition et ses compétences exactes demeurent largement méconnues.
Le conseil national de sécurité est l’un des trois organes issus de la réforme de la politique générale de sécurité et de renseignements de 2015, avec le Comité stratégique du Renseignement et de la Sécurité et le Comité de coordination du Renseignement et de la Sécurité.
Le CNS fut créé par arrêté royal le 28 janvier 2015, un peu en réponse aux attentats de Charlie Hebdo et au démantèlement de la cellule terroriste de Verviers.
Avant 2015, il existait le Comité ministériel du Renseignement et de la Sécurité, mais ses dysfonctionnements lui ont valu d’être remplacé par ce nouveau Conseil national de sécurité.
Ce dernier est présidé par la Première Ministre. Il comprend en outre les Ministres de la Justice, de la Défense nationale, de l’Intérieur et des Affaires étrangères, et les Vice-Premiers Ministres qui n’auraient pas ces matières dans leurs compétences.
A ces membres « permanents » peuvent éventuellement s’ajouter d’autres ministres fédéraux, si l’ordre du jour l’exige.
Par ailleurs, différents « experts » assistent également aux réunions du CNS si cela est nécessaire. Il peut s’agir, par exemple, de l’administrateur général de la Sûreté de l’État ou du directeur de l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace (OCAM).
Mais à la naissance du Conseil national de sécurité, on a tenu à laisser la porte ouverte à des personnes extérieures qui pourraient potentiellement se rendre utiles dans la gestion d’une menace ; cela explique pourquoi les ministres-présidents des entités fédérées apparaissent aux côtés de la Première Ministre lors des conférences de presse.
D’après l’article 3 l’arrêté qui le crée, le Conseil dispose de trois compétences.
D’abord, il établit la politique générale du renseignement et de la sécurité, en assure la coordination, et détermine les priorités des services de renseignement et de la sécurité.
Il est également compétent pour la coordination de la lutte contre le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive.
Le Conseil définit en outre la politique en matière de protection des informations sensibles.
Les limites des compétences du Conseil national de sécurité ne sont pas très claires, et le risque d’une inflation illégale de ses compétences ne semble pas purement théorique en temps de crise.
Étant un comité ministériel parmi d’autre, le CNS est cependant contrôlé par le Parlement – mais encore faut-il que le Parlement se réunisse. Mais ce contrôle – somme toute marginal – ne permet pas de voir très clair dans les attributions du Conseil.
En principe, le CNS ne joue qu’un rôle de définition et de coordination du cadre général de la politique de sécurité. Puisque les menaces à la sécurité publique, qu’elles soient terroristes ou virales, ne s’arrêtent pas aux frontières des différentes entités fédérées ou des Services Publics fédéraux, il convenait de créer – ou, plus exactement, de réformer – un espace de discussion et de dialogue entre intervenants.
Les décisions du Conseil national de sécurité restent donc à un niveau stratégique. Dès lors, il ne lui revient par exemple pas d’évaluer le niveau de la menace terroriste. C’est l’OCAM qui se charge de cette évaluation, en toute indépendance.
De même, il ne revient en principe pas au CNS de déclencher la phase fédérale de gestion de crise : c’est une prérogative légale du Ministre de l’Intérieur. Mais puisque ce dernier siège en son sein, il semble naturel que la décision soit politiquement prise par le Conseil national de sécurité, même si elle est juridiquement assumée par le Ministre.
Si le Conseil national de sécurité incarne médiatiquement la lutte contre le coronavirus, il ne s’agit là que d’un masque qui dissimule les dizaines d’organes qui travaillent, en concertation plus ou moins réussie, au sein ou en marge du Centre de crise, à l’endiguement de l’épidémie.
A cet égard, on peut citer – sans être exhaustif – les communes et provinces, le Risk Assessment Group, le Risk Managment Group, le Comité scientifique coronavirus, la cellule d’évaluation, la cellule opérationnelle ou encore le Comité fédéral de coordination.
Comme quoi, même en phase fédérale, on continue à négocier, à concerter des acteurs aussi variés que nombreux. La Belgique peut continuer à prétendre à la palme du pays le plus compliqué du monde.
Thibault Gaudin, assistant et doctorant au Centre de droit public