Intervention de Marc Uyttendaele au Tournoi de l’Académie royale de Belgique sur le thème Monarchie ou République

Vous souvenez vous de cet homme.

Il mesurait un mètre 72. Il avait les yeux bleus. Il avait les cheveux noirs. Il semblait assez agité. Il avait une petite moustache.

Vous souvenez vous de cet autre homme.

Un peu plus grand, un front large, des cheveux légèrement bouclés, un visage d’empereur romain ou de star hollywoodienne. Plus calme apparemment.

Ces deux-là se sont rencontrés.

Ils se sont serrés la main.

Ils ont pris le thé ensemble.

C’était le 19 novembre 1940. C’était à Berchtesgaden.

C’était le chancelier Hitler et Léopold III, Roi des Belges.

Léopold III qui le 29 novembre 1940, lors d’un entretien avec le Comte Capelle, dit : « Vous connaissez mes idées au sujet des Juifs. Je vous en ai souvent parlé ; le mal qu’ils ont fait n’est pas suffisamment connu. Ils sont les grands coupables de nos malheurs ».

Voilà, tout est dit : un accident de l’histoire. Assurément.

Les meilleures familles en connaissent.

Mais on ne peut souffrir, on ne peut admettre qu’un peuple, sans l’avoir, se voie imposer un individu pareil comme chef de l’Etat.

Ce que le passé enseigne, c’est ce que l’avenir peut réserver.

Nul ne peut garantir, nul ne peut promettre que demain, que plus tard, un autre membre de la famille royale n’ait pas le visage grimaçant de cet aïeul.

Et que l’on ne vienne pas me dire que des racistes, des fascistes, des incompétents peuvent également être élus dans une République. C’est vrai, mais dans ce cas, et la différence est fondamentale, le peuple, les citoyens sont responsables du malheur démocratique qui les frappent.

Dans une monarchie, on joue le chef d’Etat à la roulette russe : nul ne sait si on aura une bonne main…

Pire encore, ce mariage forcé entre un peuple et un chef de l’Etat n’est pas limité dans le temps.

Pire encore, la Constitution n’offre que des trucs et des ficelles pour écarter celui qui, accident de l’histoire, aurait accédé à la fonction et n’y serait pas le bienvenu.

Pire encore, la Constitution n’offre même pas des trucs et des ficelles pour empêcher l’accession au trône de celui que le sang a désigné, mais qui ne serait pas le bienvenu.

La monarchie est un système qui n’aurait plus lieu d’être si elle ne se revendiquait de l’histoire et de la tradition.

Quelle plus-value peut-elle offrir ?

Un homme ou une femme au-dessus de la mêlée, lisse comme un silex, qui symboliquement incarne les Belges dans leur ensemble car rien en lui ou en elle ne les heurte.

Bref, pour paraphraser Sartre, un Roi ou une Reine fait de tous les Belges, qui les vaut tous et que vaut n’importe quel Belge.

Celui-là ou celle-là devrait avoir une discipline d’acier pour ne laisser transpirer aucune de ses convictions, aucun de ses partis-pris. Or cela est impossible.

Notre histoire politique le démontre.

Ne parlons plus de Léopold III.

Baudouin Ier, dominé par un ego hors de propos et une religiosité de mauvais aloi, a frontalement affiché son hostilité à l’égard de la loi libéralisant l’avortement votée par les représentants peuple.

Albert II a fait une visite au Pape, une visite privée mais dont les images ont été largement diffusées et où on le voit courbé en deux devant un chef religieux.

Il ne faut donc pas parler du Roi actuel tant chacun sait qu’il ne se démarque en rien de ses prédécesseurs.

A défaut d’être un robot des temps modernes, nul homme, nulle femme n’échappe à ce qu’il est. Etre pensant, être agissant, il dévoile inévitablement ses convictions. En ce faisant, il crée inévitablement un clivage entre ceux qui les partagent et ceux qui les combattent.

On l’a vu tout récemment encore en Espagne. Le discours de Felipe VI, dont le statut est jumeau à celui du Roi des Belges, tenu le 3 octobre dernier est une gifle à des centaines de milliers d’Espagnols, fussent-ils catalans.

Bref le Roi silex n’existe pas et ne peut exister. Cela même suffit à disqualifier le modèle.

Deuxième plus-value… Le Roi, en période de crise gouvernementale est le magicien qui apporte des solutions sans lui introuvables Les deux dernières formations du gouvernement fédéral en apportent un singulier démenti.

En 2014, on a pu affirmer que le Roi Philippe, qui avait suscité en amont quelques craintes, a fait un sans-faute.

C’est exact.

Il était comme un chef de gare.

Il a vu le train des élections arriver. Il a vu le train s’arrêter. En sont sortis Bart De Wever, Kris Peeters et Charles Michel. Il en a pris acte. Il a, et à raison, laissé faire et le train est reparti, la Belgique avait un gouvernement

Nul ne pourra affirmer que, sans son intervention, le même gouvernement n’aurait pas vu le jour, dans le même tempo.

La crise précédente est plus révélatrice encore…

On a célébré le rôle d’Albert II. La crise aurait été dénouée car, dans son discours du 21 juillet 2011, il avait manifesté son courroux.

Cette crise avait été provoquée par la dynamique centrifuge des formations politiques du nord et du sud du pays

Et c’est aussi une dynamique intrinsèque au monde politique qui en a permis la résolution.

Comme des blocs de glace bougent imperceptiblement avant de chuter dans un grand fracas, trois hommes, trois partis ont osé une solution.

Wouter Beke qui s’est émancipé de la N-VA, Charles Michel qui s’est émancipé du FDF et Elio Di Rupo qui a inlassablement a œuvré à rapprocher les points de vue.

Le Roi n’a donc pas empêché l’une des plus longues crises des temps modernes. 541 jours, une crise plus longue qu’en ont connu l’Irak et la Moldavie. Seul le Cambodge a fait pire.

Un Roi qui n’incarne pas le pays tout entier. Un Roi qui ne peut résoudre les crises, un roi que le peuple se voit imposer sans l’avoir choisi.

La question se pose : pourquoi un Roi ?

Poser cette question, c’est deca y répondre

Le Roi serait un pare feu contre le séparatisme.

Croire cela, c’est comme soigner un cancer avec un sparadrap.

La Belgique ne tiendrait plus qu’à fil, vous dit-on, et ce fil précisément serait la famille royale. Raphaëlle l’a dit tout à l’heure. La famille royale incarne précisément ce que réprouvent non seulement les séparatistes flamands mais une part importante de la population flamande.

La monarchie c’est la muleta sous le nez du taureau nationaliste. Elle l’excite. Elle le rend dangereux.

Pire, elle soude autour de cette vilaine bête nombre de Flamands qui ne veulent pas forcément la fin du pays.

Souvenez-vous des attaques dont Albert II a fait l’objet après un discours de 2006 contre le séparatisme.

Souvenez-vous de la colère de Guy Verhofstadt lorsque Philippe pas encore Roi avait attaqué le Vlaams Belang non parce qu’il était raciste et xénophobe mais simplement parce qu’il était séparatiste.

Souvenez-vous aussi du malaise soulevé pendant la crise des 541 jours lorsqu’Albert II, parce qu’il n’avait pas pu faire autrement, avait confié une mission de résolution de la crise à Bart Wever en lui laissant ni le temps, ni la latitude qu’il avait consentis à toutes les autres personnalités appelées à intervenir dans le mêle contexte.

Non, la monarchie n’est pas un ciment national. Au contraire, enracinée dans un monde révolu, elle est sans réponse face à l’évolution du pays et des mentalités.

Si demain le nationalisme flamand ou après-demain le nationalisme wallon devaient gronder et briser la Belgique, la monarchie ne serait alors qu’un fétu de paille emporté dans la tourmente des éléments

Alors, sauver la Belgique et par là-même protéger les Francophones, ce n’est pas s’engluer dans un immobilisme, dans une nostalgie aberrante du passé, c’est oser le mouvement, oser la modernité

C’est oser dépoussiérer la Constitution.

Sauver la Belgique, c’est anticiper le réveil séparatiste.

Supprimer dans la Constitution ces dispositions trompe l’œil qui font croire que le Roi a du pouvoir alors que le contreseing l’en prive.

C’est en finir avec ce formidable mensonge d’apparence qui en ferait autre chose qu’une décoration au sommet de l’Etat.

C’est assumer que le pouvoir est entre les mains du gouvernement et plus encore entre celles du Premier ministre et de ses vices premiers ministres.

Dépoussiérer la Constitution, c’est cesser de mentir.

C’est admettre que la monarchie est déjà protocolaire, que le Roi n’a, en droit, que l’influence que ses ministres veulent bien lui consentir, mais qu’en fait cette influence est un leurre

Si l’on fait un arrêt sur image, aujourd’hui celui qui murmure à l’oreille des gouvernants ce n’est pas le Roi Philippe qui sans doute est poliment écouté, mais sans plus. Non celui qui est vraiment écouté, qui pèse sur les décisions sans parfois même devoir s’exprimer, c’est le bourgmestre d’Anvers.

Dépoussiérer la Constitution, c’est aller au bout du bout du bout de la cohérence. C’est entendre mon alter ego Francis Delpérée et admettre qu’une monarchie protocolaire n’a guère de sens. Et ce qui n’a pas de sens, il convient de l’éradiquer.

Bien sur le modèle républicain belge ne sera pas calqué sur notre beau voisin français. Il ne peut être question d’élire le Président au suffrage universel. Il serait sans doute flamand à tous les coups et plus que probablement conservateur.

Bien sur le modèle républicain ne sera pas calqué sur notre beau voisin allemand. Il ne peut être question de laisser la Chambre des représentants l’élire. Il serait sans doute flamand à tous les coups plus que probablement conservateur.

Non, non, c’est en Suisse et en Belgique que nous allons trouver un modèle d’inspiration.

En Suisse, parce que le chef de l’Etat change chaque année, au 1er janvier et qu’il est choisi au sein du gouvernement, le conseil fédéral comme on l’appelle là-bas. Il est donc tout à la fois Premier ministre et chef d’Etat.

L’idée est séduisante mais doit être mitonnée à la sauce belge.

Au nord, on nous bassine avec le confédéralisme sans comprendre la portée du concept en droit

Mais prenons–les au mot, nos amis flamands. Insinuons un zeste de confédéralisme dans notre Constitution fédérale.

Inspirons-nous aussi des solutions que nous avons inventées. Notre Cour constitutionnelle a deux présidents, qui alternent effectivement l’exercice effectif de la fonction.

C’est si simple. La Chambre des représentants, comme le font déjà les parlements régionaux et communautaires, procèdera à l’élection du gouvernement fédéral et désignera deux personnalités, pourquoi pas un homme et une femme, qui, appartenant chacun à l’une des grandes communautés, assumeront alternativement la présidence du gouvernement et la fonction de chef de l’Etat.

Elles prêteront serment, comme les ministres, devant la Chambre entre les mains de son Président

Comme une législature compte cinq ans et que les Flamands sont majoritaires dans le pays, c’est un flamand qui assumera la fonction de chef de l’Etat les années impaires de la législature, et c’est un francophone qui prendra le relai les années paires.

Ce sera alors ce Premier ministre qui viendra nous faire de beaux discours le jour de l’an plutôt qu’à Noel et le 21 juillet.

Et qu’on ne vienne pas nous dire que, en période crise, nous manquerons cruellement du Roi.

Il a fallu quelques semaines, sans intervention aucune du Roi ou d’un quelconque arbitre, pour que se résolve le crise politique provoquée, dans les institutions du sud du pays, par le coup de sang du Président du CDH.

Chaque année revient le printemps. Il chasse l’hiver. La vie politique n’est pas différente.

Dans chaque crise est inscrite sa résolution. Elle trouve sa source, comme en 2010-2013, comme en 2017 dans le sud du pays, dans la dynamique intime des relations entre partis politiques.

C’est la loi de la gravitation politique.

Alors le printemps des institutions, cette saison qui vient inexorablement après l’hiver, c’est surement oser la fin de monarchie.

Une prédiction sans doute.

Un rêve assurément

Un rêve qui a un nom : démocratie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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