De Barcelone à Montréal, de Madrid à Ottawa

par Marc Uyttendaele

Ils ont tout faux. Espagnols et Catalans sont plongés dans une épreuve de force qui ne les honorent ni les uns, ni les autres. La revendication séparatiste de la Catalogne n’est en rien illégitime. Les institutions, les Etats ne peuvent être figés pour l’éternité. Il existe assurément un droit à la singularité, un chemin vers la sécession ou l’indépendance. Encore faut-il que celui-ci s’exprime dans le respect du droit, repose sur socle démocratique, et partant arithmétique, incontestable. Or tel n’est pas le cas du référendum catalan du 1er octobre dernier. Celui-ci a été organisé dans le chaos et ne livre, somme toute, qu’une indication claire. Une indication qui n’est en rien une surprise : il existe en Catalogne un fort courant indépendantiste dont il n’est pas possible, à ce jour, de déterminer s’il se fonde sur une majorité démocratique. Le référendum organisé dans des conditions aussi chaotiques, ne peut constituer, en droit le point de départ d’un processus juridique d’indépendance. Tout d’abord, la fermeture de certains bureaux de vote, la force utilisée indument n’ont pas permis l’expression d’un vote serein. Ensuite, dans ce contexte, les opposants à l’indépendance devenaient également des opposants au référendum de telle manière qu’une immense majorité d’entre eux n’y ont pas pris part. Enfin, il est difficile de savoir si le dépouillement, l’identification des résultats se sont faits avec toutes les garanties qui s’imposent dans un État démocratique. Il n’en demeure pas moins que ce référendum, s’il n’est pas un fondement juridiquement admissible pour engager un processus d’indépendance, est un fait politique majeur dont il serait suicidaire, dans le chef du gouvernent espagnol, de nier l’existence. La peur rend violent et c’est bien celle-ci qui a animé le gouvernement de Mariano RAJOY. L’histoire politique enseigne que les thèses sécessionnistes sont rarement validées dans le fond des urnes. Nombre de Québécois sont indépendantistes tant que ne se pose pas réellement la question du divorce avec le Canada. Tant en 1980 qu’en 1995, par référendum, les Québécois ont refusé leur indépendance. Il en est allé de même en Ecosse en 2014. Les sondages organisés en Catalogne au temps de la sérénité ne donnaient pas les indépendantistes vainqueurs. Aujourd’hui, cependant, l’aveuglement brutal du gouvernement espagnol a peut-être fait basculer une partie de cette majorité silencieuse dans le camp opposé. En effet, quel humaniste peut-il avoir envie de vivre dans un Etat qui envoie ses forces de l’ordre tirer, fut-ce avec des balles en caoutchouc, contre des citoyens qui n’ont commis d’autre faute que de vouloir voter, que de vouloir exprimer leur opinion sur le devenir de leur nation ? Un policier qui s’interpose entre un citoyen et une urne est un sinistre rappel de ce que l’histoire européenne a engendré de pire au XXème siècle. Aujourd’hui, il faut donner du temps au temps, restaurer la sérénité et, loin de la vérité douloureuse d’un moment, permettre au peuple catalan, d’une part, au peuple espagnol, d’autre part, de se prononcer sur leur éventuel devenir commun. L’article 92.1. de la Constitution espagnole prévoit que « Les décisions politiques d’une importance particulière pourront être soumises à tous les citoyens par la voie d’un referendum consultatif » . Cette disposition permettrait d’interroger l’ensemble du peuple espagnol sur le devenir de la Catalogne. Comme dans chaque couple, sa pérennité n’a de sens que si ses deux composantes y souscrivent. SI, à la suite de cette consultation organisée dans un contexte dépassionnalisé, il existe une majorité de Catalans qui optent encore et toujours pour l’indépendance, des négociations devront s’ouvrir pour la matérialiser. Une telle voie n’est pas inédite. Ce chemin a été tracé, avec sagesse, par la Cour suprême du Canada dans une décision du 20 août 1998.  Celle-ci a considéré que le « Québec ne pourrait, malgré un résultat référendaire clair, invoquer un droit à l’autodétermination pour dicter aux autres parties à la fédération les conditions d’un projet de sécession. Le vote démocratique, quelle que soit l’ampleur de la majorité, n’aurait en soi aucun effet juridique et ne pourrait écarter les principes du fédéralisme et de la primauté du droit, les droits de la personne et des minorités, non plus que le fonctionnement de la démocratie dans les autres provinces ou dans l’ensemble du Canada. Les droits démocratiques fondés sur la Constitution ne peuvent être dissociés des obligations constitutionnelles. La proposition inverse n’est pas acceptable non plus : l’ordre constitutionnel canadien existant ne pourrait pas demeurer indifférent devant l’expression claire, par une majorité claire de Québécois, de leur volonté de ne plus faire partie du Canada. Les autres provinces et le gouvernement fédéral n’auraient aucune raison valable de nier au gouvernement du Québec le droit de chercher à réaliser la sécession, si une majorité claire de la population du Québec choisissait cette voie, tant et aussi longtemps que, dans cette poursuite, le Québec respecterait les droits des autres. Les négociations qui suivraient un tel vote porteraient sur l’acte potentiel de sécession et sur ses conditions éventuelles si elle devait effectivement être réalisée. Il n’y aurait aucune conclusion prédéterminée en droit sur quelque aspect que ce soit. Les négociations devraient traiter des intérêts des autres provinces, du gouvernement fédéral, du Québec et, en fait, des droits de tous les Canadiens à l’intérieur et à l’extérieur du Québec, et plus particulièrement des droits des minorités ». Tout est ainsi dit en quelques phrases bien senties. Le droit à l’autodétermination ne se manifeste pas dans une démocratie comme dans un cadre totalitaire. Il doit s’affirmer dans le respect de l’ordre constitutionnel, lequel doit être utilisé ou aménagé pour qu’il puisse s’exprimer. Il se fonde, au plus haut degré, sur l’instauration d’un dialogue démocratique. La voie ainsi tracée par la Cour suprême du Canada suffit à disqualifier la précipitation de mauvais aloi des autorités catalanes et la violence sourde et imbécile du gouvernement espagnol.

 

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